Amanit by Lucie Delarue-Mardrus

Auteur:Lucie Delarue-Mardrus [Delarue-Mardrus, Lucie]
La langue: fra
Format: epub, mobi
Tags: Roman, Fantastique-Science-Fiction-Anticipation, Littérature française, 20e
Éditeur: Bibliothèque numérique romande
Publié: 2020-07-16T00:00:00+00:00

* * *

Une moitié du mois de janvier s’était écoulée dans la fièvre du travail. La classification des documents inestimables d’Éléphantine touchait à sa fin. La princesse allait jusqu’à permettre à Charles-Étienne de photographier en temps voulu les meubles, objets, bijoux et jusqu’à la grande Hathor à tête de vache, et même les écritures démotiques et les hiéroglyphes de la crypte.

Agité par les exaltations de la journée, le jeune homme commençait à perdre le sommeil. Que de nuits il eut envie de se lever de son lit vaste comme un mausolée pour retourner à la chère table où son livre s’élaborait ! Mais travailler sans Geneviève, il ne le voulait pas. Et n’était-ce pas trahir la princesse que de continuer sans elle à étudier et commenter ses richesses ?

Couché sur les draps, le pyjama ouvert, les cheveux gracieusement désordonnés, il s’efforçait de fermer les yeux et de s’endormir au roulement monotone de la cataracte. Parfois il rallumait les ampoules et fumait une cigarette. Seul dans le silence du palais dormant, il songeait âprement au bonheur d’être jeune et d’aimer comme il aimait depuis l’enfance. La gloire proche chantait en lui, récompense magnifique de son effort, et, cette gloire, c’était le butin qu’il apporterait à sa Geneviève et par lequel il mériterait qu’elle fût enfin tout à lui. Jadis, pour la voir sourire, enfant paresseux, il avait obtenu le prix d’honneur. Maintenant, pour qu’elle devînt sa femme, il fallait la renommée et l’argent. Une ivresse joyeuse le possédait. Il était heureux de ne pas trouver le sommeil et de pouvoir penser à elle avec cette ferveur tremblante, tandis qu’elle dormait à l’autre bout du palais sans savoir qu’il veillait, en proie à son incalculable amour.

Il se demandait ce qu’eût été sa jeunesse si, dans l’humble église de Bellecour, lorsqu’il avait huit ans, une petite reine de France ne lui fut pas apparue, sortie pour lui des quatre couleurs du vitrail, aux sons ineffables d’un prélude de Bach. Alors un cœur d’homme était né dans sa poitrine d’enfant, fleur précoce, et toute sa vie s’était à jamais orientée en cet instant.

« L’égyptologie m’est venue d’elle, et puis l’Égypte… C’est à cause d’elle et pour elle que je suis ici, à Éléphantine, moi, le petit Masserand, cancre destiné d’avance à la médiocrité sous toutes ses formes. C’est à cause d’elle et pour elle que je serai riche et célèbre. Tout par elle et pour elle, rien sans elle. Je l’aime. Je l’aimais déjà aussi fort qu’aujourd’hui quand j’exécutais des culbutes dans l’herbe pour la faire rire. Je l’aimerai encore aussi fort quand nous serons deux vieux qui ne se seront jamais quittés, quand nos enfants seront à leur tour des jeunes gens dirigés vers l’avenir. Oh ! quand nous serons riches, il faudra qu’on nous vende la ferme de Bellecour pour y passer les étés en famille. Comme ce sera beau de reprendre l’enfance où nous l’avons laissée, en la personne de nos fils et de nos filles ! Je veux que l’un

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